
Troubles et difficultés d’apprentissage: Plus de la moitié des enfants touchés
Les troubles de l’apprentissage nécessitent souvent l’intervention de plusieurs spécialistes, dont des orthophonistes, des orthopédagogues, des psychomotriciens, psychologues… Le traitement, long et coûteux, reste inaccessibles pour les familles démunies (Ph. F. Al Nasser)
Des enfants présentant un retard de parole, d’autres qui ont du mal à constituer une phrase, à communiquer avec les autres, qui peinent à lire, à écrire, à calculer ou, encore, souffrant d’un déficit d’attention… Les troubles et difficultés d’apprentissage sont divers et, surtout, plus courants qu’on ne le penserait.
Depuis 2010, l’Association marocaine des troubles et difficultés d’apprentissage (AMTDA) a dépisté des milliers d’enfants à Casablanca. «53% des enfants que nous avons examinés sont atteints», révèle Zhour Le Qouider, présidente. «Quelque 12% souffrent de troubles, environ 3% d’un retard mental et le reste de difficultés, soit près de quatre enfants sur dix», détaille-t-elle.
Il convient, en effet, de distinguer entre trouble et difficulté d’apprentissage. «Le trouble est spécifique et structurel. C’est une déviation du développement. Tandis que la difficulté est un petit décalage dans le temps qui peut se rattraper rapidement», explique Sara Zarkik, présidente de l’Association marocaine des orthophonistes, section Casablanca et régions.
La spécialiste donne l’exemple des problèmes du langage oral. Il peut s’agir d’un simple retard se résorbant facilement, comme il peut s’agir d’un trouble tel que la dysphasie. C’est-à-dire que l’enfant ne comprend pas correctement le message qui lui est transmis, ou bien, lui-même ne sait pas faire part de sa pensée oralement. En matière de langage écrit, l’enfant peut présenter des faiblesses susceptibles d’être corrigées avec du coaching ou du soutien scolaire.
Mais il peut aussi souffrir de dyslexie (incapacité à apprendre la lecture), de dysgraphie (inaptitude à écrire) ou de dysorthographie (défaut d’acquisition et de maîtrise des règles de l’orthographe)… Des dysfonctionnements spécifiques d’origine neurologique, nécessitant un traitement spécial sur le long terme.
Ce sont, en fait, des handicaps invisibles, touchant des personnes intelligentes et normalement constituées, que seuls des experts peuvent cerner. Ils nécessitent souvent l’intervention de plusieurs spécialistes (orthophonistes, psychomotriciens, psychologues…).
«Quand ils ne sont pas pris en charge, et quand il n’existe pas d’aménagements spéciaux à l’école, ils mènent tout droit à l’échec scolaire. Ils peuvent également avoir des répercussions psychologiques», souligne Zarkik. Les élèves non accompagnés finissent par abandonner l’école. Mais encore faut-il les détecter et les diagnostiquer. D’où l’importance de la sensibilisation et de la formation des enseignants, dont la majorité en ignore même l’existence.
D’où ça vient?
A Casablanca, quatre élèves sur dix ont ainsi du mal à apprendre, même s’ils ne souffrent d’aucune pathologie ou dysfonctionnement. Une part énorme!
Qui faut-il blâmer? L’école, les parents… Plusieurs facteurs peuvent être pointés du doigt, à commencer par l’environnement familial. «Le temps passé avec les enfants et, surtout, sa qualité comptent énormément. Si vous passez votre temps avec eux suspendu à votre smartphone, cela ne sert pas à grand-chose», insiste l’orthophoniste.
Dans les milieux défavorisés, par exemple, où les mamans sont obligées de sortir travailler, où les papas sont absents et où l’école publique ne joue pas correctement son rôle, les chances de développer des difficultés d’apprentissage sont grandes.
C’est le cas de cette crèche ouverte il y a quelques mois dans un quartier difficile de Témara. «Nous recevons des enfants de 4 ans qui ne parlent pas encore, d’autres qui ont des problèmes de prononciation, de diction, d’attention…», témoigne sa jeune directrice, Farah Abdelmoumni.
«Toutefois, il ne faut pas tout mettre sur le dos des parents ou du milieu d’appartenance. La surexposition aux écrans, qui ont modifié notre environnement et qui ont un effet certain sur le cerveau, a aussi une grande influence, surtout que les technologies se sont démocratisées», prévient Sara Zarkik.
«D’ailleurs, avant l’âge de 3 ans, il n’est pas question de les autoriser, car c’est pendant cette période que les neurones se connectent entre eux, et ils ont besoin d’une stimulation réelle et non virtuelle», poursuit-elle.
Ce n’est donc pas vraiment une question de couche sociale. Si les enfants démunis n’évoluent pas toujours dans un environnement stimulant et attentionné, ceux des milieux aisés peuvent également être surexposés aux écrans ou négligés par des parents trop pris.
250 à 300 orthophonistes pour tout le Maroc!
L’école est également à blâmer. Scolarisés dans des classes de plus de 40 élèves, parfois de plus de 70, avec des instituteurs peu formés et dépassés, de nombreux élèves cumulent les lacunes. Jusqu’au jour où ils finissent par décrocher, sans jamais être traités.
L’accès aux soins est, pour le moins, mal aisé. Il n’existe, par exemple, que quelque 250 à 300 orthophonistes pour tout le Maroc, essentiellement concentrés dans l’axe Casablanca-Rabat. Pour en trouver un, les habitants des autres villes doivent parcourir parfois des centaines de kilomètres. Les soins proposés sont, par ailleurs, coûteux et non remboursables par les organismes de sécurité sociale. Les tarifs des séances varient entre 200 et 350 DH.
Quand il s’agit de troubles d’apprentissage, le processus de remédiation s’étale dans le temps et nécessite l’intervention de plusieurs spécialités. Les enfants de milieux pauvres sont ainsi automatiquement exclus des soins. D’où l’importance d’impliquer l’école, ne serait-ce que dans la détection précoce.